9782213635293-GL’auteur que je souhaite présenter est François Jullien et son livre « De l'universel, de l'uniforme, du commun et du dialogue entre les cultures ». Philosophe et sinologue français, il a écrit de nombreux essais traitant de l’interculturel, plus particulièrement entre la Chine (et à moindre mesure, la Corée) et l’Occident. Après de nombreuses années en Chine, il a essayé de cerner l’essence de sa pensée, de se décentraliser pour mieux observer sa propre culture occidentale au travers de l’Autre. Ce livre a pour objectif de construire un pont entre les deux cultures sans passer par l’universalisme ou le relativisme, deux opposés qui semblent inenvisageables du fait de leur contexte extrême. En décryptant d’abord le sens de ces deux mots, les reliant au commun et à l’uniforme, il essaie de voir où et comment cette notion d’universel a émergé, par le biais de la philosophie, du droit, de la religion en Europe, formant son idéologie. Dans la pensée occidentale, relevant du Christianisme et de la philosophie, l’homme est au centre de l’univers, il est a priori du monde, universel. Il explique alors que cette notion, ancrée dans notre histoire, relevant de la pensée profonde de nos révolutions, est un concept assimilé et revendiqué en Europe alors qu’en Chine, il n’a pas la même signification, sans pour autant y perdre tout son sens. Les droits de l’homme seraient-ils alors une idée purement occidentale ? Il montre que le terme en lui-même est difficilement traduisible en chinois, son sens s’altérant avec le changement de langue. L’intraduisible révèle alors le fond, l’impensé de notre propre culture.

 

On peut alors se demander si cette notion d’universel, notamment vis-à-vis des Droits de l’Hommes et de la République, peut s’appliquer dans des pays où le mot en lui-même est dénaturé. Son principe universel devient-il alors néfaste ? Néfaste car négatif, opposant les cultures au lieu de les rassembler ? L’Europe essaierait-elle d’imposer sa vision unique du monde ? En effet, pour certains, il y a une sorte de rejet de la démocratie dans les pays asiatiques, notamment Samuel P. Huntington qui soutint que les cultures traditionnelles de ces pays sont des murs imperméables à la démocratie de type occidentale. Lee Kuan Yew surenchérie en affirmant que ces notions y paraissent moins importantes que le développement économique, l’harmonie sociale ou la stabilité politique, la démocratie désintégrant les valeurs communales asiatiques, prônant l’individualisme. Mais le succès des élections en Corée du sud semblent prouver le contraire, et la « démocratie occidentale » y paraît idéalisée, ce qui la détache un peu de son essence. François Jullien pense que la question n’est alors plus de savoir si c’est une notion universalisable, la réponse serait probablement non, mais plutôt que les droits de l’homme engendrent un « effet d’universel servant d’inconditionnel » au nom de quoi une résistance est légitime. En effet, les Droits de l’homme sont indispensables car ils montrent leur absence dans certains pays. Il reste donc un idéal, une possibilité à construire. Il ne contredit pas la nécessité de l’universel, mais favorise la diversité des cultures, le fait de préserver sa spécificité, ce qui n’implique pas forcément la création de conflits. Il explique qu’il faut d’abord entrer dans la logique interne des cultures, la traduction révélant l’impensé de sa propre culture. Il faut « se réfléchir dans l’Autre », « se penser dehors » et c’est par le dialogue, qui implique une dualité, que cela devient possible. C’est donc le langage, par le biais du dialogue interculturel, qui permet de lier des cultures, mais il faut savoir garder un certain « écart » pour éviter la standardisation de celles-ci. On peut alors tenter d’établir des liens entre les divergentes pensées humaines, ou de ne pas le faire, pour préserver ses différences. Le dépaysement entre la pensée occidentale et chinoise met en exergue cette diversité et permet de tracer les limites de chacune d’elles.

 

L’universalité des Droits de l’Homme est un idéal qu’il faut savoir interpréter selon les différentes cultures, ils montrent le chemin vers un universel à construire, qui n’est pas a priori de toutes cultures mais qui représente un flot de possibilités pour chacune d’elles. Bien sûr, la Chine ne doit pas devenir un autre « absolu » en face de l’Occident, qui ne pourra jamais évoluer et restera telle qu’elle a toujours été. Le mythe de l’altérité chinoise a parcouru les siècles, l’opposant presque systématiquement à celle de l’occident, l’un favorisant l’intuition et l’ordre du monde, tandis que l’autre promeut le rationalisme et l’individualisme. La Chine se voit alors impénétrable, et se veut comme telle, restant opaque et mystérieuse, fondamentalement différente de l’Occident. Pourtant, il serait préférable, de mon point de vue, de montrer le fond commun entre ces deux entités, différentes, certes, par l’histoire et la culture, mais peut-être fondamentalement similaires dans le fait qu’elles retracent l’expérience humaine. La Chine a beaucoup usé de la littérature pour assoir son pouvoir, le rendant presque mystique et donc immuable. Cependant, on ne peut réduire la pensée chinoise à une volonté de maintenir ce pouvoir, ou même nier ses différences avec la pensée Occidentale, sans pour autant entrer dans des schémas stéréotypés d’un Autre inconnu et à jamais hermétique. Elle peut être Autre sans être opaque, simplement différente et donc accessible par le dialogue et la compréhension mutuelle.

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